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graphique fonctionnement économique secteur ferroviaire

Fonctionnement économique du secteur ferroviaire … un vrai sac de nœuds !

Des flux financiers qui forment un sac de nœuds

Récemment le Figaro a publié un article intitulé « Le coût exorbitant de la SNCF pour le contribuable » (1). Dans les premières lignes de celui-ci, un chiffre choc : « Au total, le coût de la société ferroviaire pour le contribuable, via les subventions que l’État et les collectivités locales lui versent, s’est élevé à pas moins de 18,5 milliards d’euros en 2021 ».

Dans les commentaires sur cet article publiés sur le réseau social LinkedIn on lit notamment des critiques sur la précision des propos de la journaliste. Il est reproché à celle-ci, Manon Malhère, de mettre dans le même sac sous le terme de « subventions » toutes les sommes versées par la puissance publique – que ce soit l’Etat ou les Régions – au groupe public ferroviaire, y compris pour des achats de prestations de services de transport (les TER pour les Régions, et les TET, trains d’équilibre du territoire, pour l’Etat).

A la décharge de la journaliste, il n’est pas facile de s’y retrouver dans les flux croisés entre acteurs dans le secteur ferroviaire. Pour preuve, Manon Malhère n’est pas la seule à faire des confusions dans les différents flux versés par l’Etat et les collectivités à l’opérateur historique : le ministre des Transports en fait également ! Ainsi Clément Beaune a affirmé le 24 octobre dernier sur France Info que la France est « le pays d’Europe qui subventionne le plus son système ferroviaire ». Dans la suite de son propos, le ministre fait, volontairement ou involontairement, la confusion entre de nombreux sujets. Il évoque pêle-mêle le subventionnement de l’infrastructure versé par l’Etat à SNCF Réseau et le subventionnement des trajets par les Régions via la prise en charge d’une majorité du coût de fonctionnement des TER (2).

Essayer de dénouer le nœud gordien

Les flux financiers au sein du transport ferroviaire sont donc un véritable sac de nœuds pour les observateurs et les parties prenantes du secteur. Pour tenter d’y voir plus clair nous avons essayé chez Trans-Missions de représenter graphiquement les différents flux financiers dans ce secteur, en remettant à jour un graphique publié dans « 30 fiches pour comprendre les enjeux de la réforme du ferroviaire » juste avant la réforme du 4 août 2014 (3).

Voici le résultat de nos travaux :

Cliquez ici pour voir la représentation graphique des flux financiers du secteur ferroviaire français

Note :

  • AFITF : Agence de financement des infrastructures de transport de France
  • CF : Compensation fret
  • DGD : Dotation générale de décentralisation. Elle a été augmentée de 1,5 milliard d’euros environ en 2002 pour prendre en compte la Régionalisation (4) et a évolué par la suite notamment avec la création de la Dotation générale de fonctionnement. Du fait de l’impossibilité de flécher un flux spécifique pour les TER, nous nous contentons de reprendre ce montant historique.
  • SCP : Subvention pour charges de service public
  • RA : redevance d’accès, il s’agit d’une partie des « péages » payés à SNCF Réseau pour la circulation des trains
  • RAG : Redevance d’accès aux gares
  • VM : Versement mobilité, contributions des entreprises de 11 salariés et plus à Ile-de-France Mobilités (les Régions ne touchent pas de versement mobilités). Le montant du versement mobilités touché par Ile-de-France Mobilités est d’environ 4,5 milliards d’euros et permet le financement de tous les modes de transports en Ile-de-France (Transilien, mais aussi RER, métro, bus …)
  • Programme 203 : budget pour les dépenses de fonctionnement dans le projet de loi de finance annuel, consacré aux Infrastructures et services de transports.

Si des erreurs se sont glissées dans ce graphique, n’hésitez pas à nous les signaler via notre page LinkedIn !

Quelques mots sur ce graphique

Il a été réalisé à partir de différentes sources : bilan ferroviaire établi par l’Autorité de Régulation des Transports pour les années 2019 (5) et 2020 (6), projet de loi de finances 2022 et avis du député David Valence (7) et du Sénateur Phillipe Tabarot (8) sur celui-ci, budget de l’AFITF (9), post récent de Hugues Gigleux sur son blog Transport Views (10), rapports financiers de SNCF (11) et SNCF Réseau (12), rapport d’Hervé Maurey et Stéphane Sautarel sur « La situation de SNCF et ses perspectives » (13), rapport de la Cour des comptes sur les gares (14), étude commandée par le CE Maintenance et travaux de SNCF Réseau (15)…

La multitude des sources (pas toujours parfaitement cohérentes entre elles du fait notamment de différences de périmètre comptable ou temporel) et les simplifications qu’il a été nécessaire d’effectuer conduisent notre représentation à être approximative. Certains flux ou montants ne sont pas représentés sur le graphique, pour des soucis de lisibilité ou d’existence des données (subventions des Régions à l’activité TGV pour des services spécifiques comme en Bretagne ou en Hauts-de-France, péages et chiffres d’affaires des nouvelles entreprises ferroviaires passagers – Trenitalia venant à peine de commencer son activité en France, …). Enfin, les montants ont été volontairement arrondis, dans l’objectif de donner un ordre de grandeur.

Bref, cette représentation doit être prise pour ce qu’elle est : une vue d’ensemble des flux financiers dans le secteur, nécessairement imparfaite. Nous pensons néanmoins qu’une telle photographie est forte utile pour en comprendre le fonctionnement du secteur !

Que nous enseigne ce graphique ?

Commençons par passer au crible, à l’aide de ce graphique, la déclaration du ministre des Transports, selon laquelle la France est le pays qui subventionne le plus son système ferroviaire. Le Ministre n’étant pas un représentant des collectivités territoriales, il faut se concentrer sur les versements de l’Etat. La plupart des contributions de l’Etat sont des subventions de fonctionnement correspondant à un service rendu par SNCF Voyageurs (organisation du service de TET) ou par SNCF Réseau (redevance d’accès pour les TER, les TET ou prise en charge d’une partie des redevances du fret). Les subventions d’investissements dans le réseau sont faibles en comparaison de ce que versent d’autres pays. Ainsi, en Allemagne, le gouvernement a annoncé investir 62 milliards d’euros dans le réseau ferroviaire entre 2020 et 2030, on est donc sur des montants annuels de 6 milliards, à comparer avec le 1,2 milliard de l’AFITF, même en prenant en compte la longueur plus importante du réseau ferroviaire allemand. Il faut toutefois noter l’effort très important que va faire l’Etat dans les années à venir via la reprise de la dette décidée dans le cadre du vote du Pacte ferroviaire, reprise de la dette qu’on peut considérer comme un rattrapage des sous-investissements des années – et même des décennies – précédentes.

Si on se tourne à présent vers la part respective de l’usager et du contribuable dans le financement des services de transport, on voit que l’équilibre est très différent pour le TGV et les services conventionnés. Le service TGV est quasiment intégralement couvert par les recettes associées (à 98%). Mais ce calcul ne prend pas en compte le fait que le maintien et l’extension de l’infrastructure nécessitent des subventions de l’Etat et des Régions, ni qu’une partie des dépenses sociales du groupe SNCF sont prises en charge par l’Etat, du fait de la réduction du nombre de cheminots qui a déséquilibré le nombre de bénéficiaires vs le nombre de cotisants. Au contraire, les services TER sont loin d’être « rentables » (d’un point de vue financier, la question de leur rentabilité sociale n’étant pas l’objet du présent article), même sans prendre en compte le financement de l’infrastructure et des régimes spéciaux : en arrondissant, on peut dire que le contribuable prend à sa charge 75% du financement et le voyageur 25%. Pour les TET, la réparation contribuable/voyageurs est de 40%/60%.

Ce graphique montre que la contribution des Régions dans le secteur est très importante, et pas seulement dans l’achat de service de transport (convention TER et Transilien). Les Régions subventionnent également les projets d’investissement de SNCF Réseau et de Gares & Connexions. L’ensemble de ces contributions sont supérieures au montant initial de la Dotation Générale de Décentralisation mise en place par l’Etat lors de la régionalisation. Et seule Ile-de-France Mobilités bénéfice du versement mobilités pour couvrir une partie de ces dépenses.

On constate enfin que l’activité économique du groupe SNCF « ruisselle » sur d’autres acteurs, en premier lieu desquels l’Etat, qui récupère un montant non négligeable d’impôts et taxes diverses du groupe SNCF. Un grand nombre d’entreprises sous-traitantes de SNCF Réseau, en particulier des entreprises du BTP, sont également dépendantes des montants importants contractualisés par SNCF Réseau. Ce « ruissellement » se traduit par l’affectation des dividendes du groupe public SNCF à SNCF Réseau afin de permettre le maintien de l’infrastructure.


(1) https://www.lefigaro.fr/societes/le-cout-exorbitant-de-la-sncf-pour-le-contribuable-20221122

(2) https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/sncf/vrai-ou-fake-la-france-est-elle-le-pays-deurope-qui-subventionne-le-plus-le-ferroviaire-comme-l-affirme-le-ministre-des-transports_5442991.html

(3) David Hergott, Florent Laroche, Patricia Perennes. 30 fiches pour comprendre les enjeux de la réforme ferroviaire. [Rapport de recherche] LAET. 2014. ⟨hal-01486732⟩

(4) https://www.senat.fr/rap/l01-087-322/l01-087-3225.html

(5) https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2021/01/bilan-ferroviaire-2019.pdf

(6) https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2022/02/marche-transport-ferroviaire-en-2020.pdf

(7) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-dvp/l16b0286-tvi_rapport-avis#

(8) https://www.senat.fr/rap/a22-119-2/a22-119-2.html

(9) https://www.afit-france.fr/budget-simplifie-37

(10) http://transport-views.blogspot.com/2022/12/le-budget-de-letat-pour-les-transports.html

(11)  https://medias.sncf.com/sncfcom/finances/Publications_Groupe/Rapport_financier_annuel_2021_groupe_SNCF.pdf

(12) https://www.sncf-reseau.com/fr/documentation/finance/rapport-financier-annuel-sncf-reseau-2021

(13) https://www.senat.fr/rap/r21-570/r21-5701.pdf

(14) https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-gares-ferroviaires-de-voyageurs

(15) https://www.cheminotcgt.fr/wp-content/uploads/2018/10/e%CC%81tude-sur-la-sous-traitance-CE-MT.pdf

Auteur

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Date

14 décembre 2022

Catégorie(s)

Thématique(s)

Ouverture à la concurrence ferroviaire

Stratégie d'organisation des transports