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Le BHNS, bus à haut niveau de séduction
Le succès autorise bien un petit détournement d’acronyme: BHNS, Bus à Haut Niveau de… Service, séduit de plus en plus les villes moyennes, qui y voient un substitut de tramway, mais aussi les métropoles, qui complètent ainsi leur réseau. Rapide, fiable, il est aussi moins cher à l’investissement qu’un tramway pour des performances comparables. Un outil supplémentaire pour les villes qui veulent limiter l’espace dédié à la voiture individuelle.
Avis aux éditorialistes des chaînes d’information en continu : des travaux, il n’y en a pas qu’à Paris. En cette année 2019, comme toutes celles qui précèdent les élections municipales, les villes se font belles. Et ces travaux servent dans bien des cas à préparer l’arrivée d’un BHNS. Car le bus à haut niveau de service, qui dispose d’un couloir réservé et d’une priorité aux feux, n’a jamais eu autant la cote. Le troisième appel à projets « Transports collectifs et mobilité durable », dont les résultats ont été publiés en décembre 2014, dénombrait pas moins de 54 projets de BHNS, dont « une dizaine dans les agglomérations de moins de 100000 habitants construisant leur premier transport collectif en site propre » (TCSP). Après les métros et le retour des tramways dans les métropoles, au 20ème siècle, les années 2000 avaient été celles de l’engouement pour les systèmes de vélos en libre-service. Aujourd’hui, en attendant l’avènement incertain du téléphérique ou du transport gratuit (pour les usagers), ce sont les bus dotés de voies réservés qui focalisent l’attention des élus.
Comme les vélos partagés, les BHNS sont d’ailleurs affublés de petits noms aisément mémorisables, qui se réfèrent à l’histoire ou à la toponymie locales : Aixpress à Aix-en-Provence, Fébus à Pau, Möbius à Angoulême, Nemo à Amiens, Palm Express à Cannes, Triskell à Lorient, etc. Cet enthousiasme est facile à comprendre, notamment dans les villes ne disposant pas de transport ferré. Le bus présente en effet la plupart des caractéristiques du tramway, mais à un coût moindre. Le Cerema, dans un document paru en décembre 2018, insiste sur cet argument majeur : l’aménagement se chiffre entre 2 et 10 millions le kilomètre pour un BHNS, contre 13 à 22 millions pour un tramway et 60 à 80 millions pour un métro léger. Les véhicules sont moins chers, de 300000 à 900000 euros pièce, contre 1,8 à 3 millions pour une rame de tramway et 3 à 4 millions pour une rame de métro léger.
Le « trambus », comme on l’appelle parfois, ressemble aussi au tramway par la fiscalité qu’il permet. Sa qualité de TCSP autorise la collectivité à pousser le versement transports de 0,3% supplémentaires dans les agglomérations de moins de 100000 habitants, et de 0,75% au-dessus, jusqu’à 1,75%, donc. Les villes moyennes se sont saisies de l’aubaine. Moins peuplées que les métropoles, elles ne redoutent pas la capacité des bus (environ deux à trois fois moins de voyageurs que dans un tram selon le Cerema). Elles y voient en revanche la possibilité de refondre le réseau autour d’une ligne structurante, cadencée et rapide, de marquer les esprits avec une carrosserie spécialement dessinée et de réaménager les rues traversées « de façade à façade ». A Cherbourg, c’est l’occasion de transformer la gare ; à Limoges, de mener une opération de rénovation urbaine. « Le bus souffre d’une mauvaise image auprès des usagers. Il convient donc d’associer à la mise en service une opération de communication. Le BHNS doit en outre être facilement identifiable au sein du réseau », écrivent les cabinets Trans-missions et TTK dans un rapport complet, publié en 2016. En d’autres termes, un bus design, qui traverse les ronds-points en ligne droite, ça fait tramway. Et ça fait ville.
Et tant pis si le BHNS est parfois un deuxième choix. Dans le Pas-de-Calais, le syndicat mixte des transports Artois-Gohelle, qui dessert 610000 habitants, de Bruay-la-Buissière à Hénin-Beaumont, ambitionnait jusqu’en 2013 de construire « le tramway du bassin minier », comparable à celui qui parcourt des dizaines de kilomètres dans le département voisin du Nord, entre Denain, Valenciennes et Condé-sur-Escaut. Faute de financements suffisants, c’est finalement un réseau de sept « Bulles », des lignes de bus cadencées, qui a été mis en service en avril. A Pau, François Bayrou, élu en 2014, attribue sa défaite, lors des précédentes élections de 2008, à la promesse de construire un tramway, considéré par les électeurs comme trop coûteux. Le BHNS, qui faisait partie de la panoplie de ses adversaires, a semblé, après un brainstorming en début de mandat, une manière adéquate de couper la poire en deux. A Amiens, autre configuration, le duo composé de Brigitte Fouré (ville) et Alain Gest (agglomération) a pris le contrepied du tramway voulu par la municipalité socialiste précédente, en inaugurant pas moins de quatre lignes de bus en même temps.
Bien sûr, on ne fait pas des travaux d’envergure dans une agglomération de 100 000 habitants sans provoquer des mécontentements. Les retards, aléas, malfaçons, sont légion et c’est presque normal. Il ne s’agit pas seulement de faire passer un bus, mais de matérialiser des voies et d’aménager des stations, sans oublier l’alimentation électrique, le cas échéant. Néanmoins, dans des villes peu habituées aux infrastructures de transport public, les dysfonctionnements sont scrutés à la loupe. Le Grand Angoulême a gagné un recours déposé par une association de commerçants, tandis que le destin d’une flaque d’eau devant une future station a été commenté jusqu’en conseil municipal. A Amiens, Keolis a reporté la priorité des bus aux carrefours et l’information des voyageurs à plus tard. A Pau, il a fallu indemniser des commerçants.
Objectifs de report modal
Mais tout ceci est oublié quand apparaît enfin le petit bijou urbain. Le président Macron a d’ailleurs promis à son allié François Bayrou de venir inaugurer le Fébus palois, en septembre. Le BHNS fait désormais figure, dans les villes moyennes, de transport « crédible », susceptible de séduire de nouvelles catégories d’usagers, actifs et cadres, au-delà des populations âgées, scolaires et non motorisées qui empruntent le classique réseau de bus. Des maires de préfectures départementales, jusqu’ici peu diserts sur le sujet des transports publics, en deviennent des spécialistes intarissables quand il s’agit d’évoquer « leur » BHNS, quitte à assumer les petits ennuis faits aux automobilistes. Désormais, les expressions « report modal », « espace gagné sur la voiture » ou « trafic apaisé » font partie du vocabulaire de ces élus. Autour du nouvel axe, les zones 30 deviennent peu à peu la norme, pistes cyclables et arceaux complètent l’offre de mobilité. Des applications pour smartphone sont proposées aux administrés, comme à Montbéliard (Doubs) ou en Artois-Gohelle. La perspective d’un BHNS a suscité, à Thionville (Moselle), la réalisation d’une étude origines-destinations, une première dans cette ville de 40000 habitants. A Pau, la ville a revu à la hausse, à l’automne dernier, les objectifs de parts modales pour 2030 : 10% en transports collectifs au lieu de 6%, 60% en voiture au lieu de 75% et même 10% pour le vélo, une multiplication par cinq. Amiens espère atteindre les 12% de part modale pour son réseau de bus, contre 7% aujourd’hui.
Tous les élus rêvent secrètement d’égaler le succès du Mettis, les deux lignes en service à Metz depuis 2013, dont la fréquentation progresse chaque année, jusqu’à atteindre les 37000 voyageurs par jour. Entre 2013 et 2017, à Metz, la circulation automobile a reculé de 10%.
Les régions frontalières, congestionnées par d’importants flux domicile-travail, se montrent intéressées. A Thionville, près du Luxembourg, comme à Annemasse, qui jouxte le canton de Genève, le BHNS ne franchira pourtant pas la frontière. Le projet (en Moselle) et la ligne en service (en Haute-Savoie) se contentent de rabattre les habitants des communes voisines vers une gare ferroviaire ou routière, d’où partent des transports directs pour la ville voisine. Au nord de Genève, en revanche, une « ligne express » reliera d’ici 2021 Gex (Ain) à la gare de Cornavin.
Les métropoles ne sont pas en reste. A Nantes, Toulouse, Strasbourg, Lyon ou Marseille, le BHNS n’a pas le statut de ligne structurante, mais complète le réseau ferré, métro ou tramway. « Pour le matériel roulant, les grandes villes sont moins exigeantes que les villes moyennes », constate-t-on au Gart. Les constructeurs, dès lors, sont moins sollicités : ni couleurs choisies par le maire en personne, ni livrée spéciale, ni carrosserie futuriste. A Strasbourg, le BHNS bénéficie de la même logique alphanumérique que le tram (lignes G et H), dispose d’un site propre et de la priorité aux feux, mais ressemble physiquement à un bus. En outre, plusieurs lignes de bus dites « à forte fréquence » sont dotées d’aménagements destinés à augmenter la vitesse commerciale. La différence entre un BHNS et un bus classique, surjouée dans les villes moyennes, s’estompe là où le bus n’est plus qu’un mode secondaire.
Le concept a séduit jusqu’à la Martinique, où une ligne, promise par les autorités départementales depuis le début des années 2000, a enfin été inaugurée en août 2018. Le « TCSP », comme tous les Martiniquais l’appellent, relie l’aéroport au Lamentin et au centre historique de Fort-de-France. Comme dans l’Hexagone, le bus présente un aspect ludique, livrée colorée, roues masquées, vitres teintées. Les véhicules sont climatisés, ce qui n’est pas un détail dans les Caraïbes. Le bus, qui dispose de sa voie réservée de bout en bout, est combiné à des parkings-relais et a permis la requalification du bord de mer à l’entrée de Fort-de-France. Mais à quel prix ! La ligne, dont la mise en service a été retardée plusieurs fois, a coûté au total 380 millions d’euros, soit 27 millions le kilomètre, le prix d’un tram. Comble de malchance, le personnel tend à se mettre en grève de manière inopinée. Enfin, si le bus dépasse effectivement les voitures bloquées dans les embouteillages sur l’autoroute, sa fréquence n’est pas suffisante pour concurrencer franchement le mode dominant.
L’Ile-de-France préfère les tramways
A rebours de la tendance, l’Ile-de-France semble bouder les BHNS. La région a pourtant imaginé, voici dix ans, six lignes baptisées TZen destinées à la moyenne et à la grande couronne. Mais seule une d’entre elles, entre Lieusaint (Seine-et-Marne) et Corbeil-Essonnes (Essonne) a pour l’instant été réalisée. Présidente (ex-LR) de la région, Valérie Pécresse met ces atermoiements sur le dos des retards de financements du contrat de plan Etat-région : « Il faut que l’Etat soit au rendez-vous de ses promesses », lâche-t-elle, martiale. Localement, toutefois, ce n’est pas tant l’argent qui manque (on en trouve bien pour les tramways) que la volonté de certains maires de moyenne couronne qui flanche. Bâtir un TZen implique de neutraliser des voies de circulation, pour un bus dont le « haut niveau de service », à Livry-Gargan ou à Choisy-le-Roi, impressionnera moins les habitants qu’à Angoulême ou à Bruay-la-Buissière. En janvier, le président du département de Seine-et-Marne a bloqué la réalisation du TZen2, prévu entre Melun et Lieusaint, satisfaisant ainsi des commerçants de Melun, inquiets de la suppression de places de stationnement.
Le modèle du TVM, le Trans Val-de-Marne, pourrait pourtant convaincre. Le bus fait figure de véritable transversale, un transport « banlieue-banlieue » comme on aime les mettre en avant. Il transporte plus de 75000 voyageurs par jour, davantage que six des dix lignes de tramway franciliennes. Disposant d’une plateforme totalement séparée de la circulation qui accueille également d’autres bus structurants, le TVM est entré en service en 1993. A lire la presse de l’époque, les municipalités, à commencer par celle de Créteil, dirigée, encore aujourd’hui, par le socialiste Laurent Cathala, voyaient le projet essentiellement comme une entrave à la circulation. L’hostilité s’est muée, au fil des décennies, en acceptation puis en évidence. Prolongé, doté de véhicules plus longs et de fréquences plus élevées, le TVM atteint aujourd’hui sa capacité maximale. « Le succès nous a servi d’argument pour obtenir la ligne 15 sud du Grand Paris Express », avance Jacques Baudrier, collaborateur de cabinet du département du Val-de-Marne.
Le BHNS, héritier du BRT (bus rapid transit) anglo-saxon, se révèle ainsi comme l’outil adéquat dans bon nombre de situations. Le « haut niveau de service » promis se manifeste par deux caractéristiques principales, décrit Éric Chareyron, directeur de la prospective de Keolis. La ligne assure tout d’abord « la consistance de l’offre, 7 jours sur 7, 20 heures sur 24, une fréquence d’au moins un bus toutes les dix minutes, qui permet de ne pas avoir à consulter les horaires », dit-il. A cette promesse s’ajoute « le sentiment de vitesse, l’impression de gagner du temps ». Et comme le temps, c’est de l’argent, la rapidité de la ligne permet d’économiser l’achat d’un véhicule. A 22 km/h au lieu de 17, c’est 250000 euros de gagné, a calculé l’UTP.
Les aménagements, plancher de plain-pied, entrée et sortie par plusieurs portes coulissantes, priorité aux feux, découlent de ces grands principes. L’accessibilité s’impose. Le wifi embarqué, les prises USB et le paiement sans contact ajoutent une touche de modernité. Les ronds-points percés en leur centre évitent les feux tout en accroissant le confort des passagers, habituellement ballotés dans les virages. Le résultat auprès du public est immédiat. « On se croirait dans le métro ! » se sont exclamées deux femmes, dans le Nemo d’Amiens, lors d’une séance d’essais. Alors qu’une partie croissante de la population éprouve des difficultés à marcher, l’aménagement des stations ne doit pas être négligé. Des assises sont prévues, en nombre, ainsi qu’une protection des intempéries et des écrans d’information en temps réel. La billetterie est installée sur les quais, dégageant ainsi le conducteur de cette obligation.
Electrique ? Pas forcément
En pratique, toutefois, les lignes présentent une grande diversité. A Nantes, le Busway, qui dessert Vertou, au sud-est de l’agglomération, fait figure, avec le Mettis, de quintessence du BHNS réussi. Conçu pour éviter à la collectivité les coûts élevés d’un tramway, le Busway bénéficie des mêmes infrastructures qu’un transport ferré. Le succès, plus de 30000 voyageurs par jour ouvrable en 2018, a conduit la Métropole à commander des bus articulés de 24 mètres, les LighTram du carrossier suisse Hess, électriques et rechargés par captage de courant en station (en « biberonnage »).
D’autres collectivités optent pour des « BHNS pragmatiques », comme dit Éric Chareyron. Le couloir dédié ne concerne que 70%, 50%, voire 30% de la ligne. C’est le cas des Bulles en Artois-Gohelle. « Des travaux modifient le centre de Béthune, Lens ou Hénin-Beaumont, parfois de façade à façade, mais pas forcément tout au long des lignes », explique Pierre Souillart, chargé de mission au Syndicat mixte des transports de l’agglomération. La voie réservée peut aussi accueillir plusieurs lignes en cœur de ville, comme le TEOR à Rouen, un peu à la manière d’une voie à grande vitesse qui dessert plusieurs territoires. Signalons enfin la curiosité que représente la « Montée des soldats », à Caluire-et-Cuire, dans la banlieue de Lyon. La voie matérialisée au centre de la chaussée est dédiée le matin aux bus qui descendent vers la Saône et en fin de journée à ceux qui montent.
Le verdissement des flottes de bus se poursuit à marche forcée depuis une dizaine d’années. Mais un BHNS doit-il être propulsé à l’électricité ? Pas nécessairement. Aux termes de la loi de transition énergétique, d’ici à 2025, les agglomérations de plus de 250 000 habitants devront avoir basculé vers une flotte « propre », mais ce terme inclut l’hybride et le gaz naturel. Un nouveau décret, plus contraignant, est en cours de rédaction depuis plus d’un an…
Il n’en reste pas moins que, lorsqu’elles le peuvent, les collectivités devancent l’appel, autant pour répondre à la pression des constructeurs qu’à celle des médias locaux. A Pau, les véhicules Van Hool fonctionneront à l’hydrogène, tout comme une ligne Bulles à Bruay-la-Buissière, et dans les deux cas, l’électricité sera à terme produite sur place. « Une première mondiale », ne manque pas de faire valoir François Bayrou. Le « biberonnage » du Nemo, qui s’alimente aux stations grâce à son bras télescopique qui se connecte à un mât, vaut son pesant de sensations futuristes. Présenté comme « le plus gros réseau 100% électrique d’Europe », Nemo a toutefois connu quelques ratés. Dans les premiers jours, on a même vu un bus en panne, secouru par les batteries d’une Dacia électrique…
L’essor du BHNS consacre le retour en grâce du bus. Mais cette appétence pour la modernité triomphante et électrique ferait presque oublier que les agglomérations sont déjà équipées de réseaux de bus, mal mis en valeur. Par ailleurs, ces voies libres de tout trafic suscitent la convoitise. La plupart d’entre elles sont ouvertes aux vélos, ce qui est logique compte tenu de la fréquence relativement faible. Mais l’UTP rapporte aussi la tentation de certaines autorités organisatrices d’y faire circuler des véhicules autonomes. Par ailleurs, les collectivités de taille moyenne devraient en profiter, ce qu’elles ne font pas toujours, pour proposer des plans de réseaux compréhensibles, en lieu et place des plats de macaronis truffés de lettres et de chiffres qui s’entrechoquent.
Une fois l’euphorie de l’inauguration passée, les nouveaux transports tiendront-ils leurs promesses ? Le recul manque encore un peu. A Rouen, où les lignes TEOR datent du début des années 2000, le rapport de Trans-missions et TTK montre une progression de la fréquentation, mais constate une dégradation progressive de la vitesse commerciale. Par ailleurs, le bus demeure un véhicule fragile. Dans son étude de décembre 2018, le Cerema estime la durée de vie du matériel roulant à 10 à 15 ans, contre 30 à 40 ans pour une rame de tramway. Selon cette même étude, si le BHNS coûte moins cher en investissement, « les coûts d’exploitation sont comparables ». En revanche, le bus demeure un outil évolutif, susceptible de s’adapter aux besoins. A condition de se lancer dans de nouveaux travaux.
in MobiZoom 76, par Olivier Razemon, juillet 2019 – Publié par Mobilettre, avec l’aimable autorisation de republication
Date
22 juillet 2019