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Le billet à 9€ – une expérimentation de (quasi) gratuité grandeur nature
Dans le domaine des tarifs des transports publics, il s’est passé quelque chose d’étonnant en Allemagne ces derniers mois.
Financés en grande partie par l’Etat fédéral, les Laender et les entreprises de transport public ont proposé en juin, juillet et août un abonnement mensuel pour le transport public local et régional, valable sur l’ensemble du territoire de l’Allemagne, au prix de 9 euros par mois. Le but en était de soulager les citoyens dans le contexte de l’augmentation extraordinaire du coût de la vie.
Quels ont été les effets de ce « billet à 9 euros » ?
– L’effet sociopolitique a été positif : les personnes moins aisées ont pu s’offrir plus de mobi-lité grâce au tarif forfaitaire avantageux, par exemple pour une excursion dans une autre ville ou des visites dans une autre région. Cependant, une grande partie des subventions a ainsi bénéficié aux personnes qui peuvent payer le tarif normal du transport public.
– L’effet sur l’environnement a été limité : le tarif avantageux a induit des trajets supplémen-taires – de manière limitée dans les grandes villes où les transports sont bons et la part mo-dale des transports publics est déjà élevée, avec un effet important sur les axes où l’offre est bonne mais sous-utilisée, notamment autour des grandes villes, et avec un effet limité voire nul dans les campagnes peu desservies par les transports publics. D’autre part, le billet à 9 euros n’a guère incité les aficionados de la voiture particulière à passer durablement aux transports publics, entre autres en raison de la validité limitée à trois mois. Néanmoins, selon le bilan optimiste de l’association des entreprises de transport public allemands (VDV), un trajet sur dix avec le billet à 9 euros a remplacé un trajet en transport individuel, et un cin-quième des usagers étaient de nouveaux clients. Toutefois, par rapport au coût de la subven-tion de l’offre tarifaire, la quantité d’émissions de CO₂ économisée a été faible.
– Malgré toutes les inquiétudes, les effets négatifs sur la qualité des transports en commun sont restés limités pendant l’été : les trains ont été bondés sur certains axes – avec un effet dissuasif pour les usagers abonnés concernés -, mais pas sur l’ensemble du territoire.
– Il y a eu un effet positif, mais coûteux, sur la structure des tarifs : le « 9 Euro-Ticket » a temporairement remplacé l’équité du tarif habituel par la simplicité d’utilisation : Pour les transports locaux et régionaux en Allemagne, il existe généralement un produit tarifaire spécifique pour chaque groupe d’usagers (élèves, étudiants, travailleurs à temps plein, travailleurs à temps partiel, bénéficiaires d’aides sociales, usagers de loisirs, familles, retraités, …) et en fonction de la distance parcourue. Ainsi, le tarif habituel tient compte de manière très précise de la capacité et de la volonté de payer des usagers. Le billet à 9 euros a remplacé cette approche par un prix forfaitaire simple et avantageux pour tous les usagers. Il faut toutefois savoir que cet effet, que les utilisateurs du billet à 9 euros ont adoré, a été chèrement payé par une subvention d’environ 1 milliard d’euros par mois provenant de fonds publics.
Suite à l’expiration de cette offre tarifaire temporaire fin août et à l’enthousiasme d’une grande partie de la population, l’introduction d’une offre permanente à 49 Euros en 2023 a été décidée par l’Etat fédéral et les Laender début novembre.
La nouvelle offre tarifaire permanente – appelée « Deutschland-Ticket » – ne remplacera certes pas complètement le paysage tarifaire et commercial fragmenté actuel de 97 communautés tarifaires et 67 entreprises de transport ferroviaires allemandes, notamment parce que les tickets à l’unité et billets journaliers resteront attractifs pour une partie des usagers occasionnels. Pourtant il entraînera un bouleversement de l’utilisation des tarifs : en effet, le prix envisagé du « ticket » sera nettement inférieur à celui de la plupart des abonnements mensuels actuels. De plus, le nouveau ticket à 49 euros, comme le prédécesseur temporaire de cet été, pourra être utilisé pour emprunter les transports locaux et régionaux dans toute l’Allemagne. A titre de comparaison, le prix d’un abonnement mensuel valable seulement dans la zone urbaine est aujourd’hui de 86 euros à Berlin, de 93,70 euros à Hambourg et de 97,60 euros à Francfort.
Quels seront les effets probables de l’offre de succession permanente aux conditions actuellement discutées ?
– Du point de vue de la distribution, des effets positifs sont possibles, notamment si le nouveau tarif est proposé exclusivement dans la distribution numérique : plus le nombre de passagers optant pour le billet à prix forfaitaire dans le cadre d’un abonnement est élevé, moins il y a de billets individuels, journaliers et hebdomadaires et d’abonnements « classiques » mensuels à vendre. Même si les canaux de distribution stationnaires actuels doivent continuer à être maintenus pour les utilisateurs occasionnels, on peut s’attendre à un allègement du réseau coûteux de distribution physique.
– Les effets sur la structure des usagers seront probablement négatifs : la qualité des trains régionaux en Allemagne n’est pas satisfaisante aujourd’hui, malgré des clauses sophistiquées sur la qualité dans les contrats de transport des AOT. Tant la qualité insuffisante de l’infrastructure que le manque de personnel entraînent dans de nombreuses régions des retards et suppressions de trains, l’absence de personnel d’accompagnement des trains et une mauvaise propreté à bord. Si cette situation ne s’améliore pas, le risque encouru est que les passagers soucieux de la qualité se tournent vers les transports individuels, tandis que la proportion de passagers conscients des coûts et résistants aux retards augmente dans les transports publics.
– L’effet sur l’urbanisation: un abonnement forfaitaire pour les transports publics incitera les habitants d’une ville où le prix du foncier est élevé à déménager vers la périphérie (même lointaine) et à faire la navette en ville pour le travail et les loisirs. La subvention du « billet à 49 euros » serait en ce sens une « prime à l’éclatement urbain ».
– Effet sociopolitique : il existe en outre un grand déséquilibre de l’offre. Alors que les transports publics dans les grandes villes fonctionnent généralement sur un réseau dense et à des fréquences denses, les villages en zone rurale ne sont souvent desservis que par quelques autocars aux heures de pointe. Les bénéficiaires de la nouvelle offre tarifaire seront donc plutôt les citadins que les ruraux.
Conclusion
– Les différents acteurs (autorités organisatrices, entreprises de transport et voyageurs) sont unanimes à juger positive l’introduction du « Deutschland-Ticket » : la structure tarifaire sclérosée qui s’est développée pendant de nombreuses décennies sera brisée, le prix avantageux et la simplicité d’utilisation permettront d’attirer de nouveaux usagers, et la réorganisation de la distribution permettront de réduire les coûts.
– Les effets positifs en termes de politique sociale, de distribution et de marketing masquent toutefois les points faibles de la nouvelle offre tarifaire forfaitaire : il serait plus durable que l’État fédéral et les Länder investissent les 3 milliards d’euros par an nécessaires pour financer la perte des recettes attendue du nouveau tarif dans une amélioration durable de la qualité et quantité de l’offre incluant l’élimination des ralentissements et des problèmes de capacité de l’infrastructure, le recrutement et la formation de personnel supplémentaire et la densification de l’offre dans les régions rurales. Ce n’est qu’avec la densité de l’offre, la qualité et la fiabilité ainsi obtenues que le transport local deviendrait une véritable alternative au transport individuel et gagnerait ainsi des parts encore plus importants du marché.
– Le financement des mesures de politique sociale par le budget des transports comporte en outre le risque que les financeurs publics soient encore plus critiques que par le passé quant à l’utilité de l’argent dépensé pour les transports publics – et qu’en cas de pénurie des finances publiques, ils décident ultérieurement de réduire le budget. Les effets positifs de la mesure tarifaire s’évanouiraient alors et les prix des billets remonteraient au niveau d’avant les 49 euros, alors même que l’offre serait restée de basse qualité.
Image : Exemple de billet à 9 euros vendu par l’une des 97 communautés tarifaires et 67 entreprises de transport. Source : Shugal, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=118626402