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Pénurie de conducteurs : quelles nouvelles pistes à envisager ?

Crédit photo : DepositPhotos

 

 

Depuis quelques années, les articles de presse se multiplient sur la pénurie de main-d’œuvre dans les métiers de la conduite des voyageurs et ses impacts sur les services non assurés. Une problématique touchant à la fois les conducteurs d’autocar scolaire, de bus urbain, et même de train, pourtant pourvus depuis longtemps d’un vivier important de candidats. Notre article propose un retour sur ce phénomène ainsi que quelques leviers d’action à disposition des collectivités.

 

Un phénomène plus ancien qu’il n’y parait

 

Déjà au début des années 2010, les entreprises de transport interurbaines peinent à recruter et à fidéliser leurs agents de conduite1. Les salariés concernés sont ceux qui se lèvent tôt, pour des services entre 6h30 à 9h, qui finissent tard, pour des services de 16h30 à 18h30, et subissent des services coupés à la mi-journée. Des horaires difficiles à concilier avec l’éducation des jeunes enfants notamment. Les entreprises interurbaines multiplient leurs efforts pour décrocher les contrats de service occasionnels et périscolaires à l’intérieur de cette période de coupure, afin d’offrir à leurs conducteurs des contrats plus intéressants en termes d’horaire et de rémunération.

D’abord cantonnée aux conducteurs d’autocars, le plus souvent scolaires et à temps partiel, la pénurie s’étend finalement, au fil des ans, à l’ensemble de la profession. Dans les réseaux urbains, c’est quelquefois la stupéfaction en quelques mois. « Je suis passée d’une cinquantaine de CV en attente à zéro en l’espace de six mois, au cours de l’année 2019 », confie cette DRH d’un réseau urbain du Nord-Est de la France. « Nous avions l’habitude de faire une sélection avec environ 50% de candidats recalés. Mais, au bout d’un moment, avant même les entretiens, nous n’avions pas assez de candidats pour pourvoir les postes ».

La crise sanitaire de 2020 va faire chuter brusquement  le besoin de recrutement de conducteur2.

En 2021, la pénurie s’accentue de nouveau du fait des trajectoires de réorientation professionnelle en plein essor après la pandémie. Pour les entreprises du secteur, à cette nécessité de remplacer les conducteurs en reconversion s’ajoutent les départs à la retraite, très nombreux dans une profession où la moyenne d’âge est élevée.

 

 

La pénibilité du métier, un concept clé pour comprendre la situation

 

Longtemps sous-estimée, la prise en compte de la pénibilité du métier de conducteur est pourtant essentielle pour comprendre les difficultés de recrutement et de fidélisation des salariés du secteur. Cette pénibilité peut s’expliquer par plusieurs facteurs :

  • l’activité de conduite provoque une usure de la santé des conducteurs et de nombreux professionnels disent souffrir de douleurs musculaires, maux de tête ou troubles du sommeil. Dans une étude universitaire de 2022, seuls 3,9% des chauffeurs de bus interrogés disent ne souffrir d’aucun problème de santé.
  • La complexification du trafic et de la voirie en ville, la cohabitation avec les vélos, la conduite d’un véhicule de transport collectif peut être particulièrement stressante pour un conducteur, étant donné les nombreux angles morts qui affectent le véhicule.
  • Une exigence accrue sur le respect des critères de qualité, en premier lieu la ponctualité, contrôlé par la hiérarchie, remarquée par la clientèle, dans un contexte où beaucoup de retards ne sont pas liés au conducteur.
  • Les incivilités routières, en hausse (80% des Français ont été victimes d’incivilités au volant, en vélo ou à pied3), sont enfin, une source de stress constante.

 

Des leviers d’actions multiples

 

Face à ce nouveau défi, les entreprises, appuyées le plus souvent par leur autorité organisatrice, se sont mobilisées. Au-delà des campagnes de recrutements actives qui se multiplient sur les supports d’affichages, tour d’horizon des solutions envisageables pour améliorer les conditions de travail des conducteurs.

Campagne de recrutement par affichage © Kéolis @RATP

 

Proximité entre le lieu de prise de service et le lieu de vie

 

Historiquement dans le transport urbain, ou à la SNCF, la priorité a été donnée à la centralisation des unités afin de rechercher des économies d’échelle du côté de la maintenance, de l’encadrement ou des conducteurs de réserve. Une déconcentration des sites rapprocherait les entreprises du domicile des salariés et faciliterait ainsi la vie des conducteurs qui ont un trajet domicile-travail conséquent tout en étant plus attractif pour les recrutements.

Sur les moyens et grands réseaux urbains, la création de dépôts annexes légers, économe en investissement, permettrait aussi de réduire les kilomètres à vide réalisés en début et fin de service.  Côté organisationnel, une configuration décentralisée est aujourd’hui facilitée par les nouvelles technologies et une organisation terrain structurée autour du PCC (Poste de Commandement Centralisé).

Du côté du transport interurbain, en milieu rural, le conducteur est le plus souvent à proximité immédiate de son outil de travail, l’autocar étant garé à son domicile ou dans sa commune. Ce modèle est néanmoins mis à mal par la transition énergétique, le passage à une motorisation électrique excluant le rechargement à domicile (frais d’installation, risque, départ ou absence du salarié …). Afin d’éviter une nouvelle concentration des dépôts, une réflexion doit être amorcée sur la mise en place de modules de remisages de taille intermédiaire.

Pour la SNCF, il existe une quarantaine d’unités de personnel roulant (conducteurs, contrôleurs) à travers la France, principalement dans les grandes villes et des villes moyennes. La pénurie de personnel varie grandement entre les régions, les Hauts-de-France4 et l’Île-de-France étant particulièrement touchées. Néanmoins, lors d’une audition au Sénat, le président de la SNCF a indiqué que si le déficit de conducteurs existait « il n’est pas massif » . Il indiquait que le groupe pensait pouvoir résorber ce déficit dans les mois qui viennent. La question du recrutement se pose néanmoins pour les autres opérateurs, qu’il s’agisse de transport de fret ou, à l’avenir, de transport de passagers. Le temps de formation d’un conducteur étant particulièrement long (plus d’un an) et le nombre de candidatures écartées étant très important (notamment pour des raisons médicales)6, les opérateurs alternatifs pourraient être confrontés à des difficultés de recrutement. La solution pour remédier à cette tension pourrait passer par la mise en place d’une filière de formation commune à la profession (aujourd’hui, la formation étant assurée en interne par les entreprises ferroviaires, en particulier SNCF) voire par une réflexion sur un élargissement des profils recrutés, y compris par un assouplissement des conditions médicales (aujourd’hui moins de 3% des conducteurs passent ces tests7).

 

Flexibilité des horaires de travail

 

Un autre point d’amélioration important concerne la flexibilité du planning. Les horaires décalés, ainsi que le travail des week-ends, font partie intégrante des métiers de la conduite et ces contraintes peuvent donner lieu à des contreparties.

Dans les réseaux de transport, l’organisation du travail est généralement liée à un roulement, amenant à une moyenne horaire et des contraintes de repos différents. Les services ordonnancement constatent une nouvelle appétence des conducteurs en direction de grilles horaires répondant à des besoins spécifiques : plus de repos, semaine de 4 jours, jour « véto » (par exemple le mercredi pour les jeunes parents). En échange, le salarié peut accepter plus de travail en soirée ou le week-end. Les procédures et systèmes pour amener à plus de flexibilité se multiplient : échange de service entre collègue, décalage de jours de repos autorisés, nouveaux algorithmes de création et actualisation des plannings.

Notons enfin que dans l’interurbain, des horaires adaptés peuvent être plus facilement conciliables avec certaines autres activités (petite exploitation agricole, indépendants …) et ainsi faciliter le recrutement.

 

Développement de la polyvalence

 

La polyvalence est aussi développée, plutôt facilement dans les moyennes structures (autour de 50 salariés), avec la participation des conducteurs à certaines tâches de la maintenance, du nettoyage ou de l’exploitation, pour pouvoir pallier à différents motifs cumulables entre eux : créer une possibilité d’évolution, rompre la monotonie du métier, augmenter les heures d’un contrat à temps partiel ou augmenter la rémunération.

 

La rémunération

 

Concluons sur le niveau de rémunération : le moyen le plus visible pour attirer et conserver les salariés et de compenser la pénibilité du métier.

En 2007, la rémunération minimum de la convention collective sur le transport urbain était de 8.93€ de l’heure, soit 5.7% au-dessus du SMIC horaire (8.44€). En 2024, il était de 11.82€ de l’heure, soit seulement 1.5% supérieur au SMIC de 2024. Cet écart représente 75€ brut manquant chaque mois par rapport au niveau de 2007. Ajoutons cependant que la plupart des réseaux urbains (principalement les grands réseaux) ont des accords d’entreprises mieux-disants.

 

Les conditions de travail

 

L’amélioration des conditions de travail est aussi un aspect sur lequel le secteur doit travailler. Que ce soit pour des besoins basiques comme l’accès à des sanitaires en cours de service (cet accès n’est pas toujours acquis, notamment dans les petits réseaux urbains et en interurbain8) ou des causes plus compliquées à traiter comme le stress lié à la conduite. Dans ce cadre, des groupes de travail mêlant conducteurs, exploitants, techniciens de l’autorité organisatrice de la mobilité et gestionnaire de voirie, peuvent être expérimentés dans le but d’adapter la voirie au passage fréquent des autobus et autocar (il arrive fréquemment qu’une priorité soit par exemple difficile à contrôler avec les angles morts spécifiques des véhicules, et la redondance de cette problématique le long des journées devient une gêne tangible).

 

Rapprochement du lieu de prise de service, flexibilité du travail, développement de la polyvalence, valorisation du salaire, amélioration des conditions de travail, cinq pistes clés pour renforcer l’attractivité des métiers de la conduite que doivent développer conjointement exploitants et opérateurs en dialogue étroit avec leur autorité organisatrice de la mobilité.

Ce dialogue doit être amené à se renforcer, pour que l’AOM prenne son rôle plein et entier, et doit être évalué dans les consultations publiques afin de pouvoir garder son réseau de transport attractif pour les conducteurs, et donc, pour les usagers-clients finaux.

 

 

1 Réponse écrite du ministre de l’Équipement et des transports, le 19/03/2010, à une question d’un sénateur à propos de la rémunération des conducteurs de car scolaires : « De nombreuses questions sont posées concernant l’avenir du transport scolaire routier par autocar. Les entreprises de transports routiers ont, en effet, entrepris un effort de modernisation de la profession de conducteur pour faire face à la pénurie de recrutement. »

 2 Article du journal Le Monde « Les transports pendant les JO 2024 à Paris : de l’euphorie des promesses au choc de la réalité » (https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/14/transports-pendant-les-jeux-olympiques-de-paris-2024-de-l-euphorie-des-promesses-au-choc-de-la-realite_6216436_3234.html)

3 Étude réalisée par OpinionWay, en ligne du 26 au 27 janvier 2022 auprès d’un échantillon de 1028 personnes représentatif des Français âgés de 18 ans et plus.

4 Article du journal 20 Minutes : « Le manque de conducteurs a contraint la SNCF à supprimer des TER dans plusieurs régions, notamment les Hauts-de-France » (https://www.20minutes.fr/societe/4008966-20221107-sncf-face-penurie-conducteurs-trains-gouvernement-promet-accelerer-recrutements)

5 Sénat, Audition de M. Jean-Pierre Farandou, président-directeur général de la SNCF, mercredi 14 septembre 2022, https://videos.senat.fr/video.2992011_632042e2c31dd.sncf—audition-du-pdg-jean-pierre-farandou

6 Présentation de l’AFRA sur le processus de recrutement d’un conducteur https://cdn.website-editor.net/s/a81e35b03dcb4ad7965536e2a14fb1d3/files/uploaded/2023-3.2%2520objectif%2520OFP_Process%2520recrutement%2520CDR_V3.pdf?Expires=1714838332&Signature=DLHVbhvFUE0CSim7vbDCOXuXjIvKjjX~SspUjE-xNjnyfd7vzhrHzkfoHHCqxMeX93EKVlp4F8flv8rSvrHMcrKCLBHzYiVs1unXlQwWW44Y~rrmLktt2kkwSC1igmMfAPLQ5tFEnY3wJ7ZCG9s9aAj9EtR0kVFymG8d3IrUhGUFYusvDvy2uT0uuXYT6X~fl~vSLA2U59zWA1l2vYhGaqJuBWzG0ZdqZDFR5UTD2huG5TqiKFNFjL7q56DB9nSexLTADcjRalPfooqad5DIOZoQV0I5CSznesZESxjxgRbQ4KhVUxnUQVva~wiMGGhGXeLmc0l9eytgDplXJBjA5Q__&Key-Pair-Id=K2NXBXLF010TJW

7 Ibid.

 8 https://www.lindependant.fr/2023/08/01/narbonne-les-chauffeurs-de-bus-militent-pour-obtenir-enfin-des-wc-11372814.php

Date

6 mars 2025

Catégorie(s)

Articles parus

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